Mémoire – 30 novembre 2006

SACD-SCAM COMPARUTION DU 30 NOVEMBRE 2006

PRÉSENTATION ORALE DE ROBERT FAVREAU, PRÉSIDENT DU COMITÉ DES AUTEURS DE LA SOCIÉTÉ DES AUTEURS ET COMPOSITEURS DRAMATIQUES ET DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DES AUTEURS MULTIMÉDIA
AUDIENCE PUBLIQUE DU CRTC SUR L’EXAMEN DE CERTAINS ASPECTS DU CADRE RÉGLEMENTAIRE DE LA TÉLÉVISION EN DIRECT
SACDSCAM COMPARUTION DU 30 NOVEMBRE 2006
4446, boulevard Saint-Laurent, bureau 202
Montréal, Québec
H2W 1Z5
Tél. : (514) 738-8877
Tlc. : (514) 342-4615
Tout être humain devient mature lorsqu’il peut se regarder dans la glace, se reconnaître tel qu’il est et même, lorsqu’il peut rire de lui. Il en va de même des cultures qui, lorsqu’elles bannissent ou interdisent les images, freinent leur propre développement en imposant à leurs membres le repli sur soi. Si une telle pratique pouvait s’avérer sans grande conséquence à l’époque médiévale, s’y plier aujourd’hui condamnerait la société qui s’y conforme à l’asphyxie. Chaque culture, comme chaque être humain, a en effet besoin de ce miroir de soi qui lui renvoie l’image de ses forces et de ses contradictions. Ces auto-portraits sont autant de façons de se projeter dans le présent et dans l’avenir que de se remémorer d’où l’on vient. Qui plus est, c’est par eux que les générations futures pourront voir et mieux saisir ce que fut la vie et les défis de leurs parents et de leurs grand-parents. Plus encore, ces portraits constituent autant de cartes de visite à présenter aux autres cultures de la planète en cette époque où les échanges avec les nations du monde sont devenus vitaux.
Or, peut-on imaginer portrait plus détaillé et plus complet de la vie canadienne que celui qu’en offrent le cinéma, tant documentaire que de fiction, ainsi que les dramatiques télévisuelles? La vie de tous les jours, les particularismes de chaque milieu ainsi que les enjeux de chaque époque y sont décrits jusque dans leurs moindres détails, des plus loufoques aux plus pointus. Ces portraits sont si riches qu’ils diffusent et font connaître, dans un même élan, plusieurs des autres arts qui ont cours dans notre société à une époque donnée. En effet, la danse, la musique, le théâtre, les arts plastiques et la littérature s’y retrouvent en même temps que les multiples représentations de ce que nous sommes, nous, terriens du troisième millénaire.
Dans cette dynamique d’échanges entre nous et les autres, le Canada, et plus particulièrement le Québec, sont privilégiés. En effet, depuis plus de 20 ans, les Québécois raffolent de leurs séries télévisuelles au point où les émissions francophones canadiennes comptent pour plus de 84% de l’écoute totale à la télévision québécoise. D’ailleurs, les 20 émissions les plus regardées sur les réseaux généralistes sont des productions québécoises. Plus récemment, un phénomène comparable se produit avec notre cinéma. En dix ans seulement, le cinéma québécois a vu son assistance passer de 550 000 à près de 5 millions de spectateurs par année, soit une croissance annuelle de 27,5%, alors que la fréquentation totale en salles ne connaissait qu’une augmentation annuelle de 2,6% (1) . La qualité est là, incontestablement. Mais comment pourrait-on nier le besoin véritable que semble confirmer un tel engouement? En tout cas, nombreux sont les pays qui nous envient un tel niveau de pénétration de l’auditoire.
Il serait cependant présomptueux et dangereux de tenir ce succès pour assuré. Cela ne s’est pas produit par magie et ne s’est pas bâti en un jour ni même en dix ans. Il en a fallu des essais et des erreurs, des retours sur ceux-ci ainsi que beaucoup d’imagination et de volonté pour mettre en place de nouvelles politiques de soutien public mieux ciblées. Pendant plus de trente ans, nous avons déployé efforts, détermination et talents pour parvenir à ces résultats.
Cette réussite découle en partie des investissements consentis par les organismes de financement public mais aussi par les télévisions généralistes, investissements qui ont permis l’éclosion de nombreux nouveaux talents. Phénomène qui est d’ailleurs en pleine croissance, le succès suscitant l’intérêt des nouvelles générations de créateurs qui ont le goût d’en être partie prenante. Comment alors ne pas s’inquiéter des signes avant-coureurs de récession du soutien public et de celui des télévisions généralistes? Avons-nous vraiment le loisir, comme société, de revenir aux balbutiements d’il y a trente ans alors que chaque insuccès en laissait présager de nombreux autres? Si une telle chose advenait, aurions-nous alors la capacité et l’énergie de reprendre cette croisade depuis ses tous débuts alors qu’elle a mis si longtemps à porter fruit? Permettez-nous d’en douter.
Pour ces raisons, il est urgent, voire impérieux, de non seulement maintenir mais aussi d’accroître le soutien financier aux productions dramatiques canadiennes, tant télévisuelles que cinématographiques, ainsi qu’aux documentaires. Ces productions, fruits de l’imagination de leurs créateurs que sont les scénaristes et réalisateurs, réinventent et redonnent aux Canadiens ces images d’eux-mêmes qui leur permettent d’évoluer. Ce sont leurs vitamines de l’âme. C’est pourquoi nous appuyons toute mesure qui verrait à consolider et à élargir le soutien à ces créateurs, dont celle d’autoriser la création d’un tarif d’abonnement pour les télévisions généralistes Car chez les radiodiffuseurs, ce sont les généralistes qui sont les premiers et principaux investisseurs dans la production de dramatiques canadiennes, leur implication étant une condition sine qua non à l’obtention d’autres crédits publics. Par ailleurs, de consacrer l’essentiel de ces nouveaux revenus aux seuls fins de développement technologique constituerait une singulière erreur de perspective. On ne se contente pas de retaper la carrosserie quand le moteur a des ratés. La haute définition et le passage au numérique n’ont d’intérêt que si l’audience se maintient et s’accroît pour des productions dramatiques canadiennes de haute qualité qui s’adressent à tous les publics. Déjà, la désaffection des générations montantes a de quoi nous inquiéter. Seules des productions dramatiques qui sauraient les rejoindre et qui auraient recours aux talents de nombreux jeunes créateurs – comme cela se produit actuellement chez nos voisins du sud – pourraient enrayer ce phénomène.
Non seulement doit-on continuer à créer des dramatiques canadiennes de qualité en grand nombre mais on doit aussi s’assurer que ce genre, dans ses thématiques et son langage, se renouvèle. Il serait en effet risqué de se satisfaire des succès obtenus pour tenter d’en généraliser les recettes. Dans ce domaine, l’audace et l’expérimentation sont toutes aussi déterminantes que la somme des investissements consentis. Or, l’histoire récente nous montre que ce sont essentiellement les télévisions publiques qui ont osé investir dans ces nouvelles formes narratives dont les créateurs ont l’audace. Leur marge de manœuvre financière plus grande les aura probablement incitées à encourager l’innovation. Après quelques années, les télévisions généralistes privées ont récupéré à leur tour ces productions, du moins celles qui ont connu un certain succès. Le rôle des radiodiffuseurs publics en est un de prospecteur. Ils doivent prendre des risques et parier sur de nouvelles formes qu’inventent nos raconteurs d’histoires et sur de nouvelles thématiques qu’ils explorent pour refléter l’évolution de la société qu’ils habitent. C’est pourquoi nous croyons que les revenus additionnels que procureraient aux télévisions
généralistes un tarif d’abonnement devraient être destinés tout autant aux télévisions publiques qu’aux télévisions privées.
Le financement n’est pas tout. L’accès à des fenêtres de diffusion avantageuses est tout aussi important. On a qu’à imaginer ce qu’entraînerait le maintien ou l’accroissement du soutien aux dramatiques canadiennes et aux documentaires si celui-ci était combiné à l’abandon ou à la réduction de ces fenêtres de diffusion prioritaires. On constaterait alors, dès la première année, une diminution d’audience. La main gauche aurait alors détruit ce que la main droite avait si onéreusement cherché à construire. Non seulement les fenêtres prioritaires de diffusion des productions dramatiques canadiennes doivent être maintenues mais elles doivent être imposées à l’ensemble des télévisions généralistes. Les iniquités existantes n’ont plus leur raison d’être. Par ailleurs, les fenêtres actuellement réservées aux documentaires doivent êtres revues car elles souffrent d’une marginalisation que ne justifie pas l’importance et le succès rencontrés par de nombreux documentaires au cours des dernières années.
Dans la même veine, toute augmentation de la présence publicitaire au delà des 12 minutes actuellement permises comporterait de grands risques. Ajoutées aux autopromotions des réseaux, l’espace publicitaire occupe déjà près de 25% de l’heure télévisuelle. Au delà de cette limite, l’intérêt des spectateurs risque fort de s’émousser, lui qui se voit déjà sollicité de toutes parts. Mais il y a surtout le risque de rendre de plus en plus fragmentée et donc friable la relation qu’entretiennent les spectateurs aux personnages et au récit de nos dramatiques, tellement celles-ci deviendraient saucissonnées d’innombrables promotions. Une fois cette relation ébréchée, l’intérêt pour nos histoires s’évanouira et, une fois encore, la main gauche aura détruit ce que la main droite avait cherché à bâtir. Quant à un accroissement du placement média, c’est l’essence même de ces dramatiques qui risquent d’être affecté. Les émissions dramatiques que nous imaginons appartiennent à l’imaginaire. Elles font rêver et nous permettent de pénétrer dans des univers qui nous sont peu ou pas connus. Le placement de produit n’a pas sa place dans une telle aventure pas plus qu’une affiche géante de McDo n’en aurait sur le parcours d’Alice au pays des merveilles. L’espace imaginaire doit être mis à l’abri de l’appétit marchand.
Enfin, et je conclurai là-dessus, il faut rappeler que le succès considérable que notre cinéma et nos émissions dramatiques canadiennes ont connu depuis 20 ans coïncide avec l’essor fulgurant de la production indépendante au cours de la même période. Cette apparente coïncidence n’en est pas une. On devrait plutôt parler de relation de cause à effet. Par sa précarité même, la production indépendante se voit obligée d’être innovatrice, audacieuse, enthousiaste et extrêmement motivée tout en s’appuyant sur l’inventivité toujours renouvelée des scénaristes et réalisateurs qui créent les œuvres qu’elle produit. La compétition et l’émulation qui se développent inévitablement entre les diverses unités de production qui la composent viennent amplifier ces atouts. Enfin, l’origine nécessairement composite de ces unités de création et des créateurs qui y évoluent assure une grande diversité de la production qui en découle. Toutes ces qualités expliquent en grande partie les succès que nous connaissons présentement. Mais nous savons aussi que ces qualités s’émoussent rapidement à l’intérieur d’unités de production qui relèvent directement du diffuseur, sans parler de la bureaucratie qui accompagne inévitablement ce mode d’intégration de la production. Pour ces raisons, nous nous objectons fermement à toute volonté de rendre accessible aux unités de production gouvernées par les diffuseurs les programmes de soutien public à la production.
********
En résumé, la nécessité d’augmenter les investissements des diffuseurs généralistes pour la production d’émissions dramatiques canadiennes justifie, à elle seule, l’autorisation d’un tarif d’abonnement pour ceux-ci. Ce tarif doit être consenti tant aux diffuseurs généralistes publics que privés. Mais cette mesure n’aidera à préserver la qualité de la production de documentaires et de dramatiques canadiens que si ces oeuvres émanent du secteur de la production indépendante. De même, les répercussions d’une telle mesure ne porteront fruit qu’en autant que soient maintenues et généralisées à tous les diffuseurs généralistes les actuelles fenêtres prioritaires de diffusion de ces dramatiques canadiennes et que soient améliorées celles réservées au documentaire. Enfin, il importe que ces fenêtres prioritaires de diffusion ne soient pas envahies plus qu’elles ne le sont déjà par l’univers étroit de la réclame au détriment de l’espace imaginaire et onirique que ces émissions cherchent à créer au profit de tous les Canadiens.
(1) Conférence de M. Jean-Guy Chaput, président de la SODEC, prononcée devant les membres de l’APFTQ, novembre 2006
CRTC / 30 novembre 2006